En selle pour le désert de la Tatacoa

Un itinéraire à définir

Pour ce voyage, je n’ai pas défini d’itinéraire, je me suis simplement renseigné au travers des blogs d’autres voyageurs par où il est possible de passer. Quelques lieux entre Bogota et Santiago du Chili sont incontournables pour moi, et pour le reste je construirai mon voyage au gré des rencontres ou des articles lus. Avant de partir j’avais justement lu que le désert de la Tatacoa était un endroit qui valait la peine d’être vu et ce dernier, qui se situe à environ 300 km au Sud de Bogota, constituait donc un objectif parfait pour cette première semaine.

Juliana avait d’ailleurs hébergé, quelques jours avant mon arrivée, Pascal, un cyclo-voyageur parti une semaine avant moi de Bogota qui passait par le désert de la Tatacoa. Il m’avait transmis son itinéraire et m’avait prévenu qu’il était « plutôt hard », j’avais donc essayé de l’adapter un peu pour démarrer en douceur tout en quittant assez rapidement les grands axes routiers. Lui était passé par Las Tres Esquinas, tant dis que je projetais d’aller directement de Cunday à Purificación puisque c’était plus court.

Une première étape tranquille

Ne sachant pas à quoi m’attendre au niveau des offres en hébergement, de l’état des routes, des dangers de la circulation, j’ai préféré planifier ma première étape et trouver un point chute. J’ai donc sollicité les utilisateurs du réseau Couchsurfing pour m’héberger au soir de ma première étape à Fusagasuga.

Après la Ciclovia à Bogota, j’étais dans une excellente dynamique pour débuter à vélo et surtout j’étais très motivé puisque j’attendais depuis des mois de parcourir les routes et pistes de l’Amérique du Sud. Malheureusement comme dans toutes les grandes villes, la circulation est importante et il est fastidieux d’en sortir, et Bogota n’y fait pas exception. Une fois, les voies réservées à la Ciclovia quittées pour sortir de la ville, ça a été assez compliqué de circuler entre les véhicules et ne pas se faire coincer par un bus qui s’arrêterait juste devant moi. Ce tronçon usant a duré jusqu’à la sortie de Soacha, environ 25 kilomètres. Après San Miguel à 2800 mètres d’altitude, c’est une longue descente jusqu’à Fusagasuga avec une vue magnifique sur les montagnes, on se croirait dans les Andes. Et j’y suis !

Vue sur les Andes depuis San Migulel en quittant Bogota
Vue sur les Andes depuis San Migulel en quittant Bogota

Jairo, mon hôte à Fusagasuga, m’avait prévenu qu’il rentrait tard le dimanche soir avec sa famille. Cela tombait bien puisque je souhaitais profiter de la Ciclovia avant de partir de Bogota. Malgré tout, je me suis fait surprendre par la nuit qui tombait quand j’arrivais dans Fusagasuga. La leçon de Juliana sur l’organisation des rues en Colombie m’a permis de trouver rapidement la maison de Jairo.

Jairo et sa famille à Fusagasuga
Jairo et sa famille à Fusagasuga

L’accueil par Jairo et sa famille est à la hauteur de la réputation des Colombiens : chaleureux et sympathiques. Lorsque je contacte Jairo, je ne sais pas ce qu’il fait dans la vie mais lorsque j’arrive dans la maison, j’aperçois plusieurs affiches à son effigie, c’est alors que j’apprends qu’il est avocat mais surtout qu’il s’est présenté aux dernières élections municipales de Fusagasuga en octobre dernier. Malheureusement pour lui, il n’a pas été élu mais lorsque nous allons visiter la ville et son marché le lendemain matin, j’ai eu l’impression de suivre un candidat en campagne tellement nous avons serré de mains en si peu de temps.

Marché de Fusagasuga
Marché de Fusagasuga

…mais une première semaine très difficile,

Malgré un petit déjeuner déjà copieux (salade de fruits, smoothie et soupe de de légumes), je n’ai pu refuser l’invitation de rester à déjeuner et ce fut pour moi l’occasion de goûter une spécialité locale, le Chicharrón, qui est de la peau de porc frite et ressemblant étrangement à des chips de crevettes qu’on trouve dans les restaurants asiatiques. Par contre la peau de porc bouillie en ragoût a eu plus de mal à passer… Lorsqu’il fut temps pour moi de partir, il était déjà presque 15h mais le profil étant descendant jusqu’à Melgar, j’ai atteint rapidement cette ville. Avec le peu de kilomètres réalisés, j’ai décidé de poursuivre ma route pensant pouvoir rallier Cunday en à peine 2h – 2h30. Selon la moyenne horaire, c’était largement jouable pour faire les vingt et quelques kilomètres mais c’était sans compter les 600 mètres de dénivelé à avaler. Ma vitesse a rapidement été divisée par 3 voire 4 mais surtout je n’arrivais pas à tenir le rythme. Les pauses s’imposaient, le temps continuait de filer et la nuit commençait à tomber. C’est à ce moment-là que George, un cycliste colombien, me rattrape et me voyant en difficulté il me motive pour réaliser les 6 kilomètres restants jusqu’au sommet alors que je pensais très sérieusement faire demi-tour et redescendre. En plus, mon ami cycliste du jour m’apprend que des bandits sévissent la nuit sur cette route. Malgré tout, j’essaye de serrer les dents mais je ressens tout le poids de mon équipement et l’état de la route se détériore énormément : le goudron disparaît par moment et les nids de poule sont nombreux. Mon mental flanche si bien qu’au bout d’un moment, je me retrouve à pousser mon vélo comme un con à 2 kilomètres du sommet. Après une bonne dizaine de minutes, coup de bol ou plutôt miracle, une voiture arrive enfin dans mon sens et s’arrête. Un couple et leur fils s’inquiètent de ce que je fais là à rouler en pleine nuit et je leur demande si je peux m’accrocher à leur voiture jusqu’à la fin de la montée. Après discussion, ils me proposent spontanément de charger le vélo sur le toit et de me déposer à Cunday. C’est en route vers Cunday que j’apprends que le mari est en fait l’ancien curé du village, d’où le miracle ! Finalement, j’économise les 2 kilomètres de montée et les 12 km de descente restants et j’arrive malgré tout sur les rotules à l’hospedaje du village. Après une bonne douche froide, j’irai me coucher sans demander mon reste.

Colombie, voyage à vélo : dans la voiture du Père Jésus Maria en allant à Cunday
Dans la voiture du Père Jésus Maria en allant à Cunday

Toute la nuit,  il pleut des trombes d’eau jusqu’en fin de matinée. J’attends alors que ça se calme pour partir. On m’avait averti qu’après Cunday,  la route laissait place à une piste de terre mais c’est un terrain humide et glissant que je rencontre rapidement. Je suis encore sur la partie sensée être plate et au fur et à mesure de mon avancement, l’état de la piste se dégrade. A la moindre montée je me retrouve à mettre le pied à terre et mentalement je n’y crois plus. Au bout de 10 kilomètres, je décide donc de tenir compte de l’alerte de la veille et de faire demi-tour comprenant rapidement que le terrain sera beaucoup trop pentu pour que je puisse y passer à vélo. De Cunday, je prends donc un pick-up pour rejoindre Melgar et pour ne pas rester entièrement sur une défaite, je décide de pédaler jusqu’à Espinal histoire de ne pas prendre plus de retard. Au final, cette erreur de lecture de carte et mon excès de confiance m’auront coûté une journée et demi.

D’Espinal, je souhaite maintenir mon objectif initial et passer par Purificación, puis par Prado et remonter en altitude jusqu’à Dolores puis Alpujarra avant de redescendre à Baraya jusqu’au désert de la Tatacoa. Jusqu’à Prado, c’est plat et je me dis qu’en appuyant un peu sur les pédales, je devrais pouvoir rejoindre Prado rapidement et peut-être débuter l’ascension. Je rencontre une nouvelle diffucilté ; la chaleur ! En plaine à 300 mètres d’altitude, il fait plus de 40°C et la chaleur est étouffante. Malgré mes 20 km/h de moyenne pour rejoindre Prado, au bout de 3h de vélo, je n’ai plus d’énergie. Face à cette nouvelle difficulté, je décide de jouer la carte de la sécurité et de garder l’ascension pour le lendemain. Comme la veille, je passe une heure et demi à faire le tour de la ville pour choisir le meilleur hébergement puis finalement revenir au premier visité. Cela me permet au moins de découvrir la ville…

et le jour le plus dur de ma vie de cycliste !

Avec les alertes des jours précédents, j’avais donc prévu d’attaquer la montée de Prado à Dolores dans les meilleures conditions. Je me lève, ou plutôt le coq de la basse cour d’en face me réveille à 5h et je prépare rapidement mes affaires, je prends un petit-déjeuner à base de jus de fruit frais et d’omelette et attaque ma journée à 7h30 avant qu’il ne fasse trop chaud. J’avance à vive allure sur les premiers kilomètres plats et commence l’ascension en bonne forme. C’est parti pour 1200 m de dénivelé positif. Rapidement la température monte, 35°C puis près de 40°C et je suis en surchauffe. Cette fois-ci, j’ai décidé de me donner à fond et d’arriver au sommet à la force de mes mollets. Au tiers de la montée, je n’ai déjà plus d’énergie et seul mon mental me permet d’avancer. Je n’arrive pas à trouver mon rythme et à tenir sur la selle longtemps avant de ressentir le besoin de faire une pause. Je me focalise sur le compteur et me dis de faire une pause tous les X kilomètres mais à 5 km/h les kilomètres ne défilent pas vite. Je me motive en me disant de tenir une demi-heure entre chaque pause. Trop dur, je n’y arrive pas non plus. Je sors alors mes écouteurs et mets un peu de musique pour me booster et décide de me focaliser sur le dénivelé en me disant de tenir 100 mètres et d’essayer de monter crescendo. Au final, je tiens de moins en moins les 100 mètres fixés et ils deviennent 80, 70 puis 50 mètres petit à petit. À chaque pause, je suis lessivé, je m’allonge sur la route défoncée tandis que les camions et motos continuent de passer régulièrement. Je me demande ce que je fous là et pourquoi je me donne tant de mal alors que le Pérou et la Bolivie promettent des étapes beaucoup plus difficiles, pourquoi mon vélo est aussi lourd, si je ne devrais pas abandonner…

Au bout de 4h40 de vélo et plus 1h30 de pause, je finis enfin par arriver à Dolores complètement vidé et ce ne sont pas les quelques chips grignotés qui me redonneront de l’énergie. Sachant que la route laisse place à de la piste après Dolores pour une dizaine de kilomètres et quelques centaines de mètres de dénivelé, je prends place dans un bus jusqu’à Alpujarra si bien que c’est par la fenêtre du bus que je verrai les champs de café.

Le désert de la Tatacoa en récompense

D’Alpujarra, ça descend globalement jusqu’à Baraya, aux portes du désert de la Tatacoa. Malgré la pluie matinale, le début de journée se passe bien et l’après-midi je suis encore en bonne forme. Je profite de la traversée du désert et prends le temps de faire des photos et des prises de vue vidéo, ce que je n’avais presque pas fait jusque-là.

Désert de la Tatacoa
Désert de la Tatacoa

Le désert est magnifique et l’accès par Baraya est hors de la zone touristique si bien que je suis quasiment seul et ne croise qu’un motard de temps à autre. Je profite vraiment de ce moment de calme et de dépaysement. Bien que cela monte et descende sans cesse, les montées sont très courtes et je me sens bien d’autant plus que la température excède à peine les 35°C.

Si la journée dans  le désert s’est parfaitement bien passée, il n’en est pas de même pour la nuit où j’inaugurais mon premier bivouac en Colombie. D’abord parce que je plante ma tente à la tombée de la nuit et rapidement je ne vois plus grand chose. La nuit, j’angoisse que quelqu’un vienne s’en prendre à moi et le moindre bruit devient suspect. Je me couche à 19h30 sans manger. En fait, en tirant ma lampe frontale du sac, j’abime le câble ce qui me prive de lumière et j’ai également peur d’attirer l’attention. À mon angoisse, s’ajoute la chaleur, il fait toujours plus de 30°C et aucun courant d’air ne circule dans  la tente.

Le lendemain matin, je fais la rencontre de Jordy qui me fait rapidement oublier ma nuit difficile. Il est étudiant en Art à l’Université d’Amazonie à Florencia et après avoir échangé sur le thème de la photographie puis des drogues, sa seconde passion semble-t-il, il jouera quelques morceaux d’un instrument typique des Andes, la quena.

Après une première semaine difficile, je m’accorde un jour de repos dominical chez Gina, mon hôte à Neiva, afin de déterminer quelle sera la suite de mon parcours et d’en profiter pour rencontrer des Colombiens.

Mon impression sur cette première semaine reste très mitigée, j’ai fait plusieurs erreurs et surtout j’ai pris des grosses claques aussi bien physiquement que moralement. Malgré tout, le moral est revenu après la visite du désert de la Tatacoa et même si, de Bogota à Melgar, la topographie était à mon avantage, j’ai parcouru plus de 450 kilomètres à vélo en 6 jours, ce qui reste correct.

 

8 thoughts on “En selle pour le désert de la Tatacoa

  1. Tony !!!
    Super ce post, on se croirait dans la caravane du tour, juste derrière toi.
    Les photos sont super !!
    Ton trip n’a pas l’air de tout repos en tout cas. Mais le début est toujours le plus difficile.
    Tu vas y arrier ! Accroche toi !
    Et prends toujours un peu de manioc dans ton sac pour les ptis coup de mou 😉

    1. Merci Greg pour ton commentaire. La première semaine était difficile mais après ça a commencé à aller mieux. Malgré tout, certaines journées sont plus compliqués que d’autres.
      En parlant de manioc, je suis passé devant une usine qui fabriquait de la farine de manioc, il y avait la même odeur (de vomie) qu’en Guinée Équatoriale mais plus sur un périmètre beaucoup plus grand. Je me demandais comment les gens font pour vivre juste à côté…

  2. C’est déjà un beau parcours et des paysages magnifiques!
    Le voyage sera sûrement une succession de choix plus ou moins bons mais c’est ce qui fait son charme aussi,
    Il manque quelques féculents avant l’étape non? 🙂 (ouai je me la joue nutritionniste)
    Bises!

    1. Merci pour ton message Laura. Tu as sans doute raison, ce sont aussi les mauvais choix qui font le « charme » du voyage mais sur le moment ça n’est pas toujours sympa à vivre, c’est sûr que ça fait des souvenirs !
      Concernant l’alimentation, ne t’inquiète pas, en Colombie et en Amérique du Sud, on ne mange que ça des féculents (riz, pommes de terre, bananes plantains). Dans un prochain article, je parlerai moins de vélo et plus de le Colombie.

  3. Bravo Anthony. Ton écriture est superbe et tu racontes très bien ton aventure, avec beaucoup de détails et d’humour. C’est très intéressant à lire. Tes photos aussi sont très belles. Ne flanches pas. Je t’embrasse très fort. Maman

    1. Salut Maman et merci pour tes compliments. Je n’étais pas très chaud pour cet article qui parlait trop de vélo et des difficultés à mon goût alors que ça n’est pas ce que je souhaite mettre en avant dans mon voyage. Depuis cette fameuse semaine, ça se passe mieux physiquement et donc mentalement. J’espère que les prochains articles seront plus sympas à lire encore et sinon il y toujours les vidéos sur Facebook de temps en temps ;-).

    1. Merci Papa, ça me fait plaisir que tu aies aimé l’article car comme je disais, j’hésitais à le publier car ça ne correspondait pas tellement aux articles que j’aimerais écrire malgré tout c’est comme cela que j’ai vécu cette première semaine. J’avoue que j’ai eu de l’inspiration pour l’écriture quand j’étais dans un village perdu entre San Agustín et Popayán sans internet, ni réseau.

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